Les passagers ne s'en rendent même pas compte, mais le cas de figure est prévu et les équipages savent comment réagir.
- Un avion décolle à Heathrow, Londres, 15 avril 2010, REUTERS/Toby Melville -
Le commandant de bord d’un vol Manille-Doha sur Qatar Airways est mort en plein vol mercredi 15 octobre, victime d’une crise cardiaque une heure après le décollage. Que se passe-t-il quand le commandant de bord ou un pilote meurt en vol sur un avion de ligne?
Tous les avions de ligne doivent au moins avoir deux pilotes à bord, voire trois pour les vols long-courrier. Dans un avion contenant seulement deux pilotes, l’«incapacité» (qui peut aller de l’intoxication alimentaire à la crise cardiaque) d’un d’entre eux laisse l’autre seul à bord. Or à partir du moment où un avion ne transporte plus qu’un pilote apte, il est automatiquement en situation d’urgence, et doit en théorie se poser sur le terrain approprié le plus proche. C’est ce qui s’est passé sur le vol Manille-Doha, qui a été dérouté et a atterri à Kuala Lumpur.
Seul pilote à bord
Tous les appareils modernes peuvent être pilotés par un seul homme, et les pilotes doivent montrer lors de leur apprentissage qu’ils peuvent gérer un avion tout seul. Ils apprennent aussi à réagir à une situation d’incapacité d’un autre pilote dans les phases critiques comme le décollage et l’atterrissage. Les atterrissages s’effectuent toujours par un seul pilote, tandis que l’autre s’occupe du soutien (passer les appels radio, gérer tous les systèmes).Malgré son titre quelque peu réducteur, le copilote n’est pas un apprenti qui regarde le commandant de bord faire son travail. En fait, il effectue autant de décollages et d’atterrissages que ce dernier. Quelles sont différences entre les deux postes? Le commandant de bord est le responsable de la sécurité des passagers et de l’équipage, prend les décisions (et a un plus gros salaire). Le passage de copilote à commandant de bord est uniquement une question d’ancienneté.
Les pilotes savent donc tous piloter un avion seuls, mais ils ne sont pas censés le faire. Les procédures de vol habituelles sont toutes fondées sur un travail, à deux, de revérification des actions. Le pilotage d’un avion seul demande beaucoup plus de concentration, et de faire plusieurs choses à la fois tout en étant sous pression. Il faut aussi qu’il y ait une personne au poste de pilotage à tout moment, ce qui rend les longues distances difficiles quand un pilote se retrouve seul à bord: il n’est alors même plus censé se lever, pour aller aux toilettes par exemple.
Si les avions peuvent donc arriver à bon port avec un seul pilote, aucun appareil ne peut atterrir sans personne aux commandes. Il existe bien des systèmes de pilotage automatique, mais ils nécessitent que l’on y rentre des données, ce qui ne peut pas être fait à partir du sol. Si tous les avions de ligne ont au moins deux pilotes, c’est aussi pour pallier la carence de l'un des deux. Si les deux pilotes meurent, vous n’avez plus qu’à espérer qu’il y ait quelqu’un d’autre dans l’avion qui a déjà piloté un appareil.
Dérouter l’avion
La décision de dérouter l’avion vers l’aéroport le plus proche ou de continuer jusqu’à la destination finale dépend de la situation de l’avion, mais aussi de l’état du pilote malade. Un pilote qui vient de faire une crise cardiaque peut encore être réanimé et a besoin de rejoindre un hôpital dans les plus brefs délais, ce qui poussera celui qui reste à dérouter l’avion. Le pilote restant avertit les contrôleurs aériens qu’il n’y a plus qu’un pilote à bord. Ceux-ci peuvent alors effectuer la part du travail de soutien qu’ils peuvent pour lui faciliter le travail, comme effectuer le guidage radar. Mais atterrir seul est plus compliqué qu’à deux, et si les conditions sont difficiles, le pilote en bonne santé peut très bien prendre la décision de continuer jusqu’à la destination finale pour ne pas mettre en danger tous les passagers. En juin 2009, un vol Bruxelles-New York dont le commandant de bord a décédé en vol avait atterri sans encombres et à l’heure prévue à sa destination. Le vol transportait trois pilotes (qui se relaient pour se reposer en temps normal), et a donc pu être commandé par les deux restants après la crise cardiaque de leur collègue.Si la décision est prise de dérouter l’avion, les annonces aux passagers parleront d’un «problème opérationnel», mais on ne dira pas qu’il n’y a plus qu’un pilote (on utilise la même annonce en cas d’alerte à la bombe). Le seul cas de figure où le commandant de bord est obligé d’alerter les passagers est celui d’un atterrissage d’urgence, pour que ceux-ci s’y préparent.
Informer les passagers
Le pilote qui reste appelle le chef de cabine au poste de pilotage, ce qui est en général un signe que la situation est urgente. Le chef de cabine est formé pour savoir manipuler les sièges des pilotes, pour pouvoir reculer le siège et dégager le pilote souffrant. Une décision doit être prise pour savoir si on laisse le pilote mort attaché sur son siège, si on l’emmène sur un des strapontins qui se trouvent derrière les sièges des pilotes ou si on le sort de la cabine de pilotage, où l’espace est réduit. Mais déplacer le corps peut alerter les passagers sur la situation, ce qui n’est pas recommandé.De manière générale, on n’inquiète pas inutilement les passagers. Ainsi, un passager du vol Bruxelles-New York de juin 2009 racontait:
«Nous n’étions pas au courant. Ils ont appelé un médecin en disant qu’il y avait une urgence.»Idem pour l’avion de Qatar Airways, où les passagers n’ont pas été informés du décès.
En cas de crise cardiaque, le chef de cabine passera également un message pour demander si un docteur se trouve à bord, mais évitera là encore de dire que c’est pour un des pilotes. Si les rideaux sont tirés, les voyageurs ne se rendront pas compte de la situation.
Plateau-repas
Les décès en vol de pilote sont très rares, mais le terme «Incapacité du pilote» est utilisé plus souvent, notamment pour des intoxications alimentaires sévères. C’est pourquoi certaines compagnies demandent à leurs pilotes de manger deux plateaux-repas différents pour éviter qu'ils tombent malades en même temps.Grégoire Fleurot
Merci à Claire Lauzeral, pilote de ligne chez Air France.
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