mardi 19 octobre 2010

Les défis de Latécoère, créateur de l'Aéropostale

Le premier tiers du XXe siècle représente l'âge d'or de l'industrie aéronautique française. Dès 1909, année de la traversée de la Manche par Louis Blériot, étaient organisés le premier meeting aérien à Reims, le premier Salon de l'aviation à Paris, et la première école de pilotage ouvrait ses portes à Pau. Il fallait de l'argent, un sens aigu de l'innovation et une bonne dose d'inconscience à ces géniaux inventeurs pour mettre au point leurs aéroplanes.

La première guerre mondiale va faire passer l'aéronautique de l'artisanat à l'industrie. Les usines tournent alors à un rythme endiablé : 51 000 avions et 92 000 moteurs sont fabriqués pendant le conflit. Après l'Armistice, il faudra trouver d'autres débouchés à ces avions. C'est là qu'intervient le génie de quelques entrepreneurs audacieux, dont fait partie Pierre-Georges Latécoère (1883-1943).
Ingénieur diplômé de l'École centrale, il reprend la direction de la menuiserie familiale. Il la diversifie dans la construction de matériels pour les chemins de fer. L'entreprise remporte alors des contrats importants de construction de wagons.
Durant la guerre, il fabrique des obus, puis des avions. Pour cela, il crée une usine à Montaudran, près de Toulouse, et réussit la prouesse de produire six avions par jour. En mai 1918, il se lance un défi incroyable pour l'époque : réaliser une liaison aérienne entre Toulouse et Casablanca au Maroc. Il avoue alors : "J'ai fait tous les calculs. Ils confirment l'opinion des spécialistes : notre idée est irréalisable. Il ne nous reste plus qu'une chose à faire : la réaliser."
PILOTES INTREPIDES
Le défi est à la fois technique et économique. Les appareils restent rudimentaires ; ils sont faits de bois et de toile et leur rayon d'action peine à atteindre 400 km. En outre, la rentabilité du projet semble aléatoire, les avions ne transportent en effet que du courrier...
Mais la réussite est au rendez-vous. Le courrier parvient régulièrement à Casablanca à partir de septembre 1919. Un an après, les trajets sont quotidiens et les avions transporteront bientôt des passagers. En 1925, la ligne est prolongée jusqu'à Dakar. Pour mener à bien le projet, Latécoère s'adjoint un as de l'aviation, Didier Daurat. Il se révèle un dirigeant hors pair, repérant les pilotes intrépides. Le 28 septembre 1924, Jean Mermoz est embauché. En 1926, il engage deux pilotes prometteurs : Henri Guillaumet et Antoine de Saint-Exupéry.
La ligne devient techniquement viable. Mais son prolongement en Amérique du Sud nécessite d'importants capitaux.
L'entreprise est alors reprise en main en 1927 par un financier, Marcel Bouilloux-Lafont, qui la renomme l'Aéropostale. Dès octobre 1927, le vol sans escale de Toulouse à Saint-Louis-du-Sénégal est réalisé par Jean Mermoz et Elisée Négrin en un temps record de vingt-trois heures et trente minutes.
Pierre-Georges Latécoère n'arrête pas pour autant d'innover. En 1929, il construit des hydravions. L'année suivante, Mermoz traverse pour la première fois l'Atlantique Sud sur un hydravion Latécoère, le Late 28. Il périra sept ans plus tard sur le Late 300, plus connu sous le nom de laCroix-du-Sud.
Mais la crise de 1929 contraint l'Aéropostale à fusionner avec quatre autres compagnies pour former en 1933 Air France. Aujourd'hui, Toulouse est toujours la capitale aéronautique française et Latécoère un fournisseur de premier plan. L'aventure n'est pas terminée.

(Source : Jacques-Marie Vaslin, maître de conférences à l'IAE d'Amiens, LE Monde)