PARIS (Reuters) - Les Emirats arabes unis ont décidé de suspendre les négociations sur l'achat de 60 Rafale à la suite d'un article du Figaro, quotidien de Serge Dassault, le principal actionnaire de Dassault Aviation, a déclaré à Reuters un haut responsable gouvernemental français.
Les autorités françaises espèrent néanmoins que les Emiratis reviendront sur leur décision.
Pour le Rafale, "ça n'est fichu nulle part", ni aux Emirats ni au Brésil, a assuré vendredi le ministre français de la Défense, Hervé Morin, interrogé sur Public Sénat.
Le 15 juin, il assurait que la vente de l'avion de combat polyvalent de Dassault Aviation aux EAU était en voie de finalisation. Mais le 26 juin, le Figaro publiait un article sur le recours des EAU à la technologie et à des sociétés israéliennes pour sécuriser leurs frontières face à la menace iranienne.
Si ces informations ont fait peu de bruit en France, elles ont suscité un tollé dans le monde arabe, où tout ce qui touche aux relations avec Israël est extrêmement sensible.
"Huit jours après, la presse du Proche-Orient a pris le relais et montré du doigt les EAU", explique un haut responsable français. "Cheikh Mohamed a dit : 'M. Dassault est propriétaire du Figaro, il m'a poignardé dans le dos, les discussions (sur le Rafale) sont terminées'."
Cheikh Mohamed bin Zayed bin Sultan Al Nahyan est le prince héritier d'Abou Dhabi et le chef des forces armées des EAU.
"Pas de commentaire", s'est borné à déclarer un porte-parole de Dassault Aviation interrogé par Reuters.
La revue spécialisée américaine Defense News a d'ailleurs écrit le 13 septembre que les EAU avaient demandé au constructeur américain Boeing des "informations techniques" sur son F18 Super Hornet.
Cet appareil, plus ancien de conception que le Rafale, en est un concurrent direct dans sa version modernisée, avec notamment des moteurs plus puissants.
Paris et les industriels français du secteur confirment que l'article du Figaro a "déplu" aux Emiratis mais espèrent que la suspension des discussions avec Dassault n'est que provisoire.
"MOUVEMENT D'HUMEUR" ET PRESSIONS
"C'est un mouvement d'humeur tout à fait compréhensible, qui se traduit par un ralentissement des discussions mais il n'y a pas de rupture", estime ainsi une source gouvernementale.
Une source diplomatique française assure pour sa part que les relations bilatérales entre la France et les EAU continuent de se "porter très bien".
Le "mouvement d'humeur" des EAU et leur intérêt soudain pour le F18 américain pourraient également être une façon de faire pression sur Paris et Dassault Aviation afin d'obtenir satisfaction à plusieurs de leurs demandes.
"C'est de bonne guerre", souligne-on de source proche de l'industrie aéronautique. "Les Emirats arabes unis ont toujours été des clients très exigeants."
Avant l'article du Figaro, les Emiratis demandaient une version du Rafale dotée de réacteurs de neuf tonnes de poussée au lieu de 7,5 pour améliorer sa réactivité dans un espace aérien restreint à proximité immédiate de l'Iran. Ils demandaient aussi un radar plus puissant.
Or, cela suppose d'importants coûts supplémentaires que la France n'était de toute évidence pas prête à prendre seule à sa charge. "Nous n'avons pas trop d'argent à mettre là-dedans", souligne une source gouvernementale française.
Il est clair pour tout le monde, en tout état de cause, que cette question sera au coeur des négociations avec Dassault, si les EAU décident de les poursuivre.
Dassault Aviation n'a pas encore vendu à l'exportation le Rafale, qui n'équipe que les armées françaises. Des négociations sont en cours, notamment avec le Brésil, mais peinent à aboutir.
Source : NouvelObs, par Emmanuel Jarry avec Tim Hepher, édité par Patrick Vignal